Entretien avec Ben Thuy, un véritable couteau suisse de la paléontologie au MNHNL

Ben Thuy est paléontologue au Musée national d’histoire naturelle de Luxembourg.

Découvrez dans cet article son parcours atypique et l’étendue de ses recherches.

Ben Thuy est un véritable couteau suisse de la paléontologie. Loin de se contenter de son travail de conservateur, il est également chercheur, participe aux fouilles et s’engage activement dans la communication, la médiation et la vulgarisation scientifique.

 

Il a participé à la découverte du Lorrainosaurus, le plus grand pliosaure connu (un reptile marin préhistorique), ainsi que du Melusinaster allissawhitegluzae – un échinoderme apparenté aux étoiles de mer – qu’il a nommé ainsi en hommage à la chanteuse Alissa White-Gluz, du groupe Arch Enemy.

 

Un parfait alliage entre le métal et la roche.

Depuis quand es-tu paléontologue au MNHN ? Comment a démarré cette aventure ?

Après mon doctorat en paléontologie, j’ai fait 6 mois de postdoc à l’Université de Göttingen, mais je savais à ce moment-là que j’allais quitter le monde académique. Mon épouse étant également paléontologue, il nous semblait judicieux de ne pas travailler tous deux comme chercheur et chercheuse, afin de fonder une famille et de rester sur le même continent. Le but était néanmoins de garder la paléontologie dans ma vie, je me suis donc lancé dans l’enseignement tout en continuant la recherche à part. J’ai travaillé au Lycée Michel Lucius (NDLR : enseignant, auteur, docteur en géologie et fondateur du Service Géologique de Luxembourg).

 

J’ai ensuite trouvé un poste comme ingénieur environnemental à l’Administration de l’environnement. Le poste de paléontologue est très rare et difficile à obtenir ; or par un heureux hasard, mon prédécesseur est devenu directeur et la position s’est libérée de façon inattendue. On m’a donc proposé de faire un changement d’administration et de commencer au Musée national d’histoire naturelle.

 

J’ai d’abord refusé, parce que non seulement ma situation me plaisait, mais aussi parce que je m’étais bien installé dans ma fonction d’ingénieur environnemental et de chercheur étudiant. Mais ça n’a pas duré ! J’ai postulé et en mai 2015, je suis finalement devenu conservateur de la paléontologie au MNHNL. Je n’ai pas regretté depuis.

Je profite encore aujourd’hui de mon temps dans l’enseignement. Ça m’a donné une bonne expérience dans la planification, la conceptualisation et la pratique de la communication. J’ai toujours eu cette passion pour la transmission du savoir. Travailler au Musée me permet d’allier ces deux pans : recherche et communication.

 

Qu’est-ce que tu aimes dans ton métier ?

Ce qui me tente dans la recherche, c’est de quitter les chemins établis et de me lancer dans l’étude de groupes négligés comme les ophiures. C’est un groupe qui a attiré très peu d’attention : les étudier revenait à s’aventurer en terre inconnue, comme sur une aire de jeu que personne n’a encore utilisée.

 

Le deuxième aspect qui me plaît est d’avoir un terrain supposément bien connu comme le Luxembourg, et d’y découvrir des merveilles. Aller jusqu’au bout, creuser à fond et découvrir des groupes d’animaux que je ne connaissais pas moi-même. Comme les onychophores (NDLR : des vers à pattes) dans la carrière Rinnen, à Consthum.

 

Et enfin, j’apprécie de pouvoir communiquer d’une manière qui m’aurait fait plaisir moi-même en tant qu’enfant. Mon but est d’organiser des expositions que j’aurais aimé voir plus jeune, et de faire plaisir au public, quel qu’il soit. Scientifiques, enfants, novices ou métalleux·ses : il faut savoir adapter son langage.

 

A quoi ressemble ton quotidien sur le terrain ?

Ma mission est d’explorer les roches du Luxembourg. Les fouilles internationales sont plus rares car la priorité reste la région du Grand-Duché. Mais en 2023 par exemple, j’ai participé à une fouille collaborative en Allemagne pour soigner le réseau d’expert·e·s et pour gagner de nouvelles expériences. C’était aussi une occasion de mettre à disposition mon expertise.

 

Concernant le quotidien des fouilles, il faut bien planifier les choses, se concerter avec les participant·e·s, organiser des événements, des hébergements… c’est le côté social du métier de paléontologue. La dimension personnelle et relationnelle est très développée. Si je devais résumer le quotidien des fouilles, je dirais qu’il est à la fois logistique et convivial.

Qu’est-ce qui t’a donné envie de devenir paléontologue ?

Pour moi, le moment clé a été le visionnage du film Jurassic Park. Je l’ai vu à un moment crucial de mon enfance ; à l’époque, je voulais me lancer à la découverte des dinosaures. Mon père, qui connaissait les entrepreneurs, les anciennes carrières et celles encore en activité, m’a beaucoup supporté dans ce projet : il m’emmenait dans les carrières pour que je puisse vivre ma passion. J’ai alors trouvé mes propres fossiles, ce qui a fait une grande différence. À Rumelange, je suis tombé sur un oursin fossile tellement intrigant – la forme, la symétrie – que je me suis lancé dans une étude complète du spécimen. Voilà pourquoi je suis maintenant spécialisé dans les ophiures (NDLR : une classe d’échinoderme dont la forme rappelle celle de l’étoile de mer). Avec cet oursin et l’aide de ma professeure de biologie, j’ai participé au concours Jonk Fuerscher, et j’ai gagné. L’expérience de soumettre un rapport de recherche est extrêmement valable. Rédiger un travail qui est évalué ensuite par d’autres scientifiques : c’est exactement ce que je fais aujourd’hui encore. Cela a constitué un premier pas dans le monde de la recherche scientifique, avec ses moments de frustration et de joie.

 

Un autre moment clé est survenu à l’adolescence. Un biochimiste est venu un jour dans notre école pour nous parler de son métier. Je lui ai dit que je voulais devenir paléontologue, et il m’a répondu que ça n’était pas une bonne idée, que ça ne servait à rien. J’étais en pleine puberté : rien que par esprit de contradiction, ça m’a justement poussé à le devenir !

En résumé, il faut les bonnes rencontres au bon moment, et tout devient évident…

 

Si tu avais des fonds de recherche infinis, comment les utiliserais-tu ?

J’engagerais beaucoup plus de doctorant·e·s. C’est toujours dommage de voir des talents très motivés qui ne peuvent se lancer dans la recherche parce que le financement fait défaut. Parfois, la décision de prendre un·e candidat·e n’a rien à voir avec sa qualification. La liberté budgétaire me permettrait de proposer des projets à des candidat·e·s motivé·e·s et d’aider ceux et celles qui le veulent à se lancer.

 

Cela dit, la contrainte budgétaire et administrative ne me limite pas dans les projets que je veux implémenter moi-même, ce qui est très appréciable. C’est un privilège de travailler ici.

 

La découverte dont tu es le plus fier ?

C’est une question difficile ! Cela change d’un jour à l’autre. Certaines découvertes me tiennent particulièrement à cœur, surtout quand elles ont mobilisé du temps et de l’effort. Je pense notamment à ce couple d’espèces d’ophiures du silurien (NDLR : un système géologique qui s’étend de −443 à −419 Million d’années), que nous avons publié il y a trois ans. Ces deux espèces représentent le moment de naissance des ophiures actuelles : nous avons donc trouvé et nommé l’ancêtre commun de toutes les ophiures vivantes. Le processus de publication a été long, ardu et difficile car il a fallu argumenter de manière très sophistiquée pour contrer les avis négatifs. L’article a d’abord été refusé, mais l‘éditrice nous a octroyé une seconde chance et nous avons publié, après un an et demi de travail acharné ! C’était une grande victoire, et un sacré parcours.

 

L’autre découverte qui me tient à cœur, c’est une étude de 2011 qui portait sur l’origine de la faune des grands fonds. 14 ans après sa publication, le nombre d’études qui se réfèrent à cette découverte est toujours croissant : ce travail a réellement fait une différence ! Il a changé le point de vue sur l’histoire évolutive des grands fonds.

 

Quels conseils donnerais-tu aux futur·e·s jeunes paléontologues ?

Identifiez-vous à des personnages forts qui auront une fonction de modèle. Attachez-vous à leur authenticité et à leur identité. Cela vous permettra d’atteindre vos objectifs.

 

Voilà pourquoi je pense qu’il faut une grande diversité dans les positions clé de la société : afin de permettre une identification diversifiée. Par exemple, si une femme occupe une haute position académique, elle va peut-être inspirer des jeunes filles à suivre ses pas.

 

Quel livre, quel film et quelle série conseillerais-tu aux jeunes scientifiques d’aujourd’hui ?

Le film : Indiana Jones pour l’esprit de découverte et d’aventure.

 

La série : Star Trek, pour l’éthique scientifique, l’interconnexion des espèces, l’ouverture d’esprit et cette idée d’une communauté scientifique globale, internationale, respectant un même codex.

 

Le livre : Le Seigneur des Anneaux pour l’exploration et l’éthique, et pour l’esprit collaboratif également. Le récit de la découverte d’un monde inconnu vaut le détour.

En résumé, la réalité scientifique que l’on vit tous les jours est conviviale, internationale et collaborative. Nous partageons tous le même esprit de découverte.

Interview : Diane Bertel

Editrices : Monique Kirsch, Selma Weber