De la chimie à la cristallographie : Ce que dévoilent les minéraux
Saviez-vous que les minéraux racontent des histoires vieilles de millions d’années ? Nous avons rencontré Kim Totaro, minéralogiste au MNHNL, pour apprendre comment ces trésors naturels nous enrichissent.
Kim Totaro, minéralogiste au Musée national d’histoire naturelle Luxembourg, étudie les minéraux sous un angle à la fois fondamental et appliqué. Ses travaux de recherche contribuent à une meilleure compréhension des mécanismes de formation des ressources minérales.
Dans cette interview, elle nous explique comment l’étude minutieuse de ces matériaux naturels permet non seulement de reconstituer l’histoire de la Terre, mais aussi d’enchanter nos vies quotidiennes par la beauté et la diversité des espèces – du Luxembourg et d’ailleurs.
Peux-tu nous décrire ton parcours et ce qui t’a amenée à te spécialiser en géologie et minéralogie ?
Mon parcours d’études a débuté par le commerce. J’ai appris la comptabilité et l’économie, mais ce n’était pas ce qui me passionnait. Au lycée, mon prof de maths m’a encouragée à suivre un autre chemin : j’ai donc opté pour des études de géosciences et de géologie, d’abord à Montpellier puis à Liège. Ensuite, j’ai travaillé comme communicatrice scientifique pour le Luxembourg Science Centre, ce qui m’a permis d’apprendre énormément de choses sur le partage des connaissances avec le grand public. Puis j’ai décroché le poste de mes rêves au MNHNL, un an après avoir obtenu mon diplôme.
La Terre m’intéresse depuis que je suis petite, en particulier l’histoire de sa création. Je me souviens très bien de mon premier cours de minéralogie (cf. Infobox) : les spécimens présentés étaient si beaux, si colorés avec des formes géométriques tellement parfaites que je ne pouvais croire qu’ils ne soient artificiels. Pour moi, une chose était claire : il fallait que je les étudie pour mieux les comprendre. Plus je les ai étudiés, plus je me suis rendu compte à quel point les minéraux sont fascinants.
Nous pouvons nous estimer heureux.ses : notre Terre produit toute cette beauté naturellement et nous l’utilisons pour créer tant de choses différentes : bâtiments, nouvelles technologies…
En quoi consiste ton rôle dans le domaine géologie-minéralogie au MNHNL ?
Je travaille avec le Prof. Simon Philippo, dont je suis l’assistante de conservation. Nos tâches se complètent et comprennent la gestion des collections (tri, conservation, rangement) et le travail sur le terrain (comme récemment lors de notre mission au Brésil). Je m’occupe aussi de la mise en valeur des collections par les expositions et de la vulgarisation des sciences pour le public. Et enfin, il y a tout l’aspect de la recherche et de la rédaction d’articles scientifiques.
En ce moment, je travaille sur des minéraux appelés phosphates, que l’on trouve dans les pegmatites (un type de roche, cf Infobox). L’évolution d’une pegmatite peut être déchiffrée à travers l’étude des phosphates. Tout cela nous renseigne sur la formation de la Terre.
En laboratoire, j’effectue des analyses cristallochimiques (structure, agencement atomique, chimie). La chimie et la cristallographie doivent être combinées afin de définir les espèces. Lorsqu’il s’agit d’analyser des éléments plus légers que le magnésium, nous allons à Nancy, où nous avons accès à des machines plus pointues et précises.
C’est donc un travail très varié, absolument pas monotone et cela me plaît énormément.
Peux-tu décrire ton travail sur le terrain, au Brésil par exemple ? Comment sont collectés, identifiés et conservés les échantillons ?
Au Brésil, nous sommes allés dans une région riche en pegmatites. Ce sont des corps de roche allongés qui font environ 100 x 30 m, contenant des minéraux rares. Sur place, ils sont exploités par des mineurs artisanaux.
Nos journées de travail se déroulent généralement ainsi : nous identifions d’abord les zones d’intérêt sur la carte, puis nous nous rendons sur le terrain pour les chercher, ce qui peut s’avérer ardu ! Cependant, les pegmatites sont des roches très claires, visibles même sur des cartes aériennes. Une fois la zone trouvée, nous nous rendons dans les mines pour collecter nos échantillons. Les mineurs locaux sont très accueillants.
Nous avons également une collaboration avec des chercheurs et chercheuses sur place (dont le Prof. Joao Adauto de Sousa Neto). Le partage de connaissances est essentiel et bénéficie à toutes les parties : une fois les échantillons analysés, nous envoyons les résultats à nos collègues du Brésil, leur permettant ainsi de mieux exploiter leurs mines. Nous avons ainsi construit un large réseau d’entraide sur place afin d’effectuer notre travail dans les meilleures conditions.
Concernant la conservation des échantillons, certains paramètres sont à prendre en compte afin d’éviter leur détérioration : humidité, lumière, température… Nous avons également dans notre collection des minéraux radioactifs stockés dans un coffre-fort spécial.
Quel spécimen du musée te touche particulièrement ?
Probablement la collection entière ! Elle abrite de belles et fascinantes espèces. Le Prof. Philippo a effectué un travail extraordinaire : il a élargi la collection de 8000 à près de 45 000 spécimens. Certaines espèces de minéraux sont fabuleuses ! Je pense notamment à la Kunzite : c’est un minéral transparent, très grand, dont la couleur dépend de l’axe choisi pour l’observer : cela peut aller d’un rose pâle à un rose très puissant. En plus d’être magnifique, la Kunzite, qui appartient à la famille des silicates, peut être exploitée pour sa teneur en lithium.
Une autre pièce fascinante est une géode de quartz transparent contenant des inclusions de Shattuckite : ce sont de petites boules d’un bleu très vif d’une grande rareté. Cette géode, provenant du Congo, ressemble à un aquarium ! Une telle pièce me donne facilement le courage de continuer dans mon travail.
Nous avons également une collection d’holotypes d’une très grande valeur scientifique. Les holotypes sont les échantillons de référence mondiale pour toute nouvelle espèce minérale. Le MNHNL en détient une quinzaine.
Et enfin, j’apprécie certains minéraux a priori moins esthétiques, comme les phosphates, souvent considérés comme des déchets, mais qui sont, entre autres, riches en lithium. J’estime qu’il est important de les mettre en valeur et de communiquer dessus, car si l’on sait les traiter, ils sont extrêmement intéressants pour nous.
Quelles compétences sont essentielles dans ton métier, au-delà des connaissances scientifiques ?
Ce métier demande de la patience, de la rigueur, de l’organisation et beaucoup de curiosité. Parfois, le travail est répétitif (tri d’une collection, préparation des échantillons). Afin d’étudier un minéral en profondeur, nous devons effectuer une longue série d’analyses ; les pièces sont souvent minuscules et la concentration est essentielle. Les analyses prennent du temps, parfois plusieurs mois. C’est un travail de longue haleine.
Il est également important d’avoir l’esprit naturaliste : le contexte géologique de chaque échantillon en dit long sur sa genèse ; il faut avoir l’œil pour les détails afin de comprendre ce qui s’est produit dans une région.
Et enfin, l’esprit d’équipe est de mise. C’est un travail collaboratif. L’envie de partager est également essentielle.
As-tu un souvenir marquant lié à un minéral ?
En 2022, nous avons visité une mine au Brésil contenant d’énormes béryls (une espèce minérale du groupe des silicates) de plus de 2m de long ! Les béryls de notre collection mesurent quelques centimètres. La taille et le poids de ces spécimens m’ont sidérée.
Lorsque nous sommes rentrés de cette mission, nous avions 60 kg de minéraux dans nos bagages !
Quels projets ou expositions à venir t’enthousiasment particulièrement ?
Nous aimerions lancer une exposition temporaire sur la minéralogie du Luxembourg, qui est riche et fascinante. Il existe trois différentes mines métalliques au Nord du pays ; dans l’une de ces mines, plus de 50 espèces différentes de minéraux ont été trouvées, ce qui est énorme. Nous aimerions montrer au public le spectre méconnu et impressionnant de la minéralogie du Grand-Duché.
J’aimerais également, à terme, développer un projet en lien avec les lycées du pays, peut-être la création d’un workshop, afin de familiariser les lycéen·ne·s avec la géologie et la minéralogie. Pour l’instant, ce n’est encore qu’une idée personnelle, mais elle me tient à cœur, d’autant plus qu’au Luxembourg, la géologie n’est pas enseignée au lycée, ce que je trouve dommage.
Quels sont tes hobbies en dehors du travail ?
La poterie ! Mon mari et moi en sommes tombés amoureux tous les deux. En dehors de la considération artistique, j’apprécie l’aspect scientifique de travailler sur de l’argile.
La poterie est un art très méditatif. Il faut se concentrer sur la matière, travailler avec ses mains, rester dans le moment présent. C’est un autre monde.
Enfin, quel message aimerais-tu transmettre aux jeunes générations à travers ton travail et celui du Musée ?
La science est dynamique, elle évolue tous les jours ; elle n’est pas figée. La section scientifique du MNHNL est là pour faire de nouvelles découvertes, et tout le monde peut y avoir sa place s’il le souhaite. Il faut oser participer (surtout si l’on est une femme !)
J’espère que celles et ceux qui viennent au Musée repartent avec cette étincelle de curiosité, qui permettra à la science d’évoluer. Voilà notre mission.
Interview : Diane Bertel
Editrices : Monique Kirsch, Selma Weber